La gestation pour autrui (GPA) est un sujet complexe en droit français, souvent sujet à débats, particulièrement lorsqu’elle est réalisée à l’étranger et que le parent d’intention ne partage aucun lien biologique avec l’enfant. Dans un arrêt récent (Première chambre civile – Pourvoi n°23-50-016), la Cour de cassation a clarifié la reconnaissance des filiations établies à l’étranger dans de tels cas.
Contexte juridique et cadre de la GPA à l’étranger
En France, la GPA est interdite. Cependant, de nombreux Français se tournent vers des pays étrangers où la GPA est autorisée afin de réaliser leur projet parental. Ces pays émettent des actes de naissance qui établissent la filiation entre l’enfant et les parents d’intention conformément à leur législation locale. Une fois de retour en France, ces parents cherchent à faire reconnaître cette filiation pour obtenir des documents d’état civil français.
Les options juridiques incluent :
- Transcription directe de l’acte d’état civil étranger.
- Exequatur du jugement étranger établissant la filiation.
- Adoption, notamment plénière, pour officialiser la filiation en France.
L’exequatur : un contrôle judiciaire essentiel
L’exequatur est la procédure par laquelle la France reconnaît et exécute une décision judiciaire étrangère. Cependant, pour qu’une décision soit validée, le juge français doit s’assurer qu’elle :
- Ne constitue pas une fraude.
- Ne heurte pas l’ordre public international français, apprécié au regard des principes essentiels du droit français (comme le principe d’égalité et le respect des droits de la défense).
Il est important de noter que l’exequatur ne permet pas au juge de rejuger l’affaire, mais simplement de vérifier la conformité de la décision avec l’ordre public français.
Cas d’une GPA sans lien biologique : l’affaire récente
Dans l’affaire traitée, une femme avait eu recours seule à une GPA au Canada. L’enfant, conçu à partir des gamètes de donneurs, n’avait aucun lien biologique avec elle. Une décision de justice canadienne l’avait cependant déclarée mère légale. La cour d’appel française, en validant cette filiation et en lui conférant les effets d’une adoption plénière, avait suscité le pourvoi du procureur général en cassation.
Points soulevés par le procureur :
- L’établissement d’un lien de filiation sans lien biologique serait contraire à l’ordre public international français.
- Le détournement des règles de l’adoption internationale.
La décision de la Cour de cassation : reconnaissance de la filiation
La Cour de cassation a jugé que l’ordre public international français ne fait pas obstacle à la reconnaissance d’une filiation établie à l’étranger, même en l’absence de lien biologique. Ce jugement repose sur deux points majeurs :
- Jurisprudence de la CEDH : La convention de GPA ne fait pas, en soi, obstacle à la reconnaissance du lien de filiation établi à l’étranger.
- Principes du droit français : Le droit français admet l’existence de filiations sans lien biologique, notamment via l’assistance médicale à la procréation (AMP) avec tiers donneur et la reconnaissance d’un enfant sans lien biologique.
La limite de la reconnaissance : pas d’assimilation à l’adoption
La Cour a censuré la cour d’appel sur un point précis : la filiation établie par le droit canadien ne devait pas être assimilée à une adoption plénière en France. La filiation doit être reconnue dans sa spécificité étrangère, en tant que filiation d’intention, distincte de l’adoption.
Pourquoi cette distinction est-elle importante ?
- L’adoption suit une logique différente et des règles spécifiques en France.
- La reconnaissance d’une filiation d’intention permet de maintenir la cohérence juridique sans redéfinir la nature même de la relation parent-enfant établie à l’étranger.
Conclusion et implications pour les futurs parents
Cet arrêt confirme que la France peut reconnaître une filiation établie à l’étranger même en l’absence de lien biologique, sans que cela ne heurte l’ordre public international. Cependant, le juge français doit toujours s’assurer de l’absence de fraude et du consentement des parties.
Pour les parents d’intention souhaitant recourir à la GPA à l’étranger, cette décision clarifie la position juridique française, tout en rappelant que la filiation d’intention doit être distinguée d’une adoption.
GPA & laisser-passer pour l’enfant
La CEDH vient de rendre une décision importante dans le cadre d’une demande de laisser-passer pour un enfant issu d’une GPA.
Le Conseil d’Etat avait refusé la délivrance du laisser-passer à l’enfant, qui ne pouvait donc pas rentrer en France avec ses parents.
La CEDH (n°31429/24) vient de condamner la France dans ces termes :
« A la lumière de sa jurisprudence et au vu des éléments versés au soutien de sa demande de mesure provisoire, ainsi que des observations et des échanges de pièces complémentaires produites par les parties à sa demande, la Cour, après en avoir délibéré en formation de chambre considère qu’il existe, dans les circonstances particulières de l’espèce, eu égard à l’intérêt supérieur de l’enfant, un risque imminent d’atteinte irréparable à un droit protégé par l’article 8 de la Convention. Sans préjuger de l’issue des procédures susceptibles d’établir de manière incontestée les circonstances exactes de la conception et de la naissance de l’enfant C. L., ainsi que la réalité du lien de filiation allégué, la Cour décide, dans l’intérêt des parties, d’ordonner au gouvernement français, sur le fondement de l’article 39 de son Règlement, la délivrance à l’enfant C. L. de tout document de voyage lui permettant d’entrer sur le territoire national ».
Un enfant né à l’étranger, même conçu par GPA, doit pouvoir rentrer en France avec ses parents (si bien évidement le parent biologique est français, condition pour que l’enfant soit également français).
Cela n’empêchera certainement pas certains consulats de continuer à refuser la délivrance d’un laisser-passer ou d’un passeport, mais cela reste une avancée importante.